L’accompagnement spirituel : les fondamentaux

 

 


Anima Mea

Intervention Anne-Marie Aitken

 par zoom

18 novembre 2020

 

L’accompagnement spirituel :

les fondamentaux

 

Nous allons donc aborder ce soir les fondamentaux de l’accompagnement spirituel. Aujourd’hui, le mot « accompagnement » est devenu très banal. On fait de l’accompagnement social, thérapeutique, scolaire, fiscal, de l’accompagnement de malades, etc. On accompagne un enfant à l’école, on accompagne un chant avec un instrument de musique, etc. Nous allons essayer de regarder de plus près ce que recouvre ce mot d’« accompagnement ».

 

Je commencerai par donner trois caractéristiques de l’accompagnement en général : caractéristiques communes à tout accompagnement quelle que soit sa forme.

o   Un service, une aide

o   Une réponse à une demande

o   Une relation entre deux personnes semblables et différentes.

 

Puis j’aborderai l’accompagnement spirituel proprement dit en essayant de clarifier ce qu’il est et ce qu’il n’est pas.

o   Dans l’histoire de l’Eglise

o   De la direction spirituelle à l’accompagnement spirituel

o   Aide spirituelle ou accompagnement spirituel

o   L’accompagnement spirituel

 

Nous nous demanderons pourquoi se faire accompagner, nous parlerons ensuite du rôle de l’accompagnateur et nous terminerons par la formation à l’accompagnement spirituel.

 

1.     L’accompagnement en général

 

1.1. Un service, une aide

Accompagner quelqu’un, c’est faire route avec lui, se mettre à son rythme, à son pas, devenir un compagnon pour lui permettre d’atteindre plus sûrement son but. Le Petit Robert dit : « Accompagner, c’est se joindre à quelqu’un pour aller là où il va en même temps que lui. »

Il s’agit donc de :

-       marcher à côté pour aider, éclairer, guider, donner des repères ;

-       permettre à l’autre de se construire humainement, de se structurer ;

-       permettre à sa liberté de poser des choix, d’assumer ses décisions, en conscience.

 

Pour l’accompagnant comme pour l’accompagné, il y a dans cette notion d’accompagnement l’idée de déplacement, de vies en mouvement, par et grâce à la relation qui va s’établir entre eux, dans un projet qui les réunit et qui, en même temps, les dépasse. L’un et l’autre s’engagent dans une aventure commune dont ni l’un ni l’autre ne sortira indemne.

 

Mais l’accompagnement a ses limites ou ses ambiguïtés : on peut aller là où va la personne quand il s’agit d’aller à l’école ou à la gare… mais, dans bon nombre de situations humaines, on ne peut pas aller complètement jusqu’au bout du chemin car, en définitive, chacun reste seul dans ce qu’il a à vivre. C’est le cas de l’accompagnement des personnes en fin de vie, de l’accompagnement d’une crise vécue par une personne, de l’accompagnement de quelqu’un en vue d’un choix pour orienter sa vie. Il est possible de faire un bout de chemin avec les personnes, mais on ne peut pas se mettre à leur place, on ne peut pas vivre et traverser la crise à leur place, on ne peut pas choisir à leur place.

 

Accompagner, c’est se tenir dans une position de service vis-à-vis de l’autre, l’aider à chercher sa place, sa voie, sa vocation et la trouver… mais c’est bien lui qui joue la partie, ce n’est pas l’accompagnateur. Si l’on prend une comparaison sportive, on voit bien que l’entraîneur aide les joueurs à se connaître, à développer leurs capacités, il les initie aux règles, aux enjeux, aux pièges, mais le jour du match, il ne joue pas la partie, il reste sur le bord du terrain.

 

1.2. Une réponse à une demande

Le service de l’accompagnement est offert en réponse à une demande. Une personne fait une démarche personnelle et exprime une demande. Elle pose un acte de confiance envers l’accompagnateur qui doit savoir gérer la réponse à cette demande.

Il est important d’entendre la demande à son véritable niveau. Que dit-elle ? Est-ce une demande pour être accompagné dans la durée ou pour être aidé à passer un moment critique ou à prendre une décision importante. Une demande peut en cacher une autre ! Il importe de laisser la personne prendre le temps d’expliciter sa demande pour mieux repérer sa véritable attente, et si besoin poser quelques questions pour être sûr de bien situer cette demande.

 

L’accompagnateur a lui aussi des attentes plus ou moins conscientes par rapport à la personne qui s’adresse à lui. Il devra autant que possible être au clair sur ce point et aura à se demander régulièrement si ce qu’il vit dans l’accompagnement est bien au service de ce que la personne demande.

 

1.3. Une relation entre deux personnes semblables et différentes.

L’accompagnement met en relation avec le semblable, le frère ou la sœur, le prochain, mais en marchant avec lui on voit très vite qu’il est différent de soi. Celui qui demande ce service a un nom, une histoire, un tempérament, une famille, un milieu social… il est situé, il est unique.

 

Nous sommes semblables en humanité mais la position de chacun est différente dans cette relation : l’un demande à être accompagné et l’autre est sollicité. La relation est asymétrique. Cela ne veut pas dire qu’il y a une supériorité de l’un par rapport à l’autre, mais qu’il n’y a pas d’échange réciproque. L’un se confie, l’autre écoute et de cette rencontre on espère une aide. L’accompagnateur n’est pas là pour raconter sa vie ni sa propre expérience, même s’il s’appuie sur son expérience pour accompagner. Il n’est pas là pour lui mais pour l’autre.

 

L’accompagnateur est à la fois proche et à distance. Proche parce qu’il marche à côté mais à distance pour respecter l’autre dans sa démarche, le laisser libre. Être à distance c’est accepter de ne pas tout savoir sur celui qu’on accompagne, de ne pas tout conduire, de ne pas mettre la main sur lui, c’est veiller à ne pas avoir d’emprise ou de pouvoir sur l’autre.

 

1.4. L’accompagnateur est différent d’un coach.

Quelques mots sur un terme que l’on entend beaucoup aujourd’hui : celui de « coach ». En dehors du coach d’une équipe de sport, ce type d’accompagnement est vécu dans un cadre particulier. Il s’agit d’entretiens individuels par lesquels le coach aide une personne à atteindre un objectif pour réussir sa vie personnelle ou professionnelle. Le contexte est souvent celui d’un changement désiré ou d’un changement subit qu’il faut accompagner. C’est un processus qui vise à maximiser le potentiel personnel et professionnel. Il y a de nombreuses modalités de coaching professionnel : le coaching individuel pour des dirigeants, des managers, des chefs de projet, des leaders de transformation… Le coaching collectif : pour rendre une équipe plus opérationnelle, le coaching d’organisation…On pourrait résumer en disant que ce qui est visé c’est de rendre une personne, une équipe ou une entreprise plus performante. Ce qui est visé avant tout est un développement personnel.

 

 

2.     L’accompagnement spirituel

 

Ce qui est vrai de tout accompagnement est vrai de l’accompagnement spirituel. Ce dernier a les mêmes bases, mais parler d’accompagnement spirituel introduit une dimension autre à ce compagnonnage : une dimension spirituelle.

 

Dans l’exhortation post-synodale « Christus vivit » qu’il adresse aux jeunes en 2019, le pape François définit l’accompagnement spirituel comme « un processus qui entend aider la personne à intégrer progressivement les diverses dimensions de sa vie pour suivre le Seigneur Jésus », n° 97.

 

Qu’est-ce que l’expérience spirituelle chrétienne si ce n’est la vie de tous les jours vécue selon l’esprit du Christ ressuscité ? La vie spirituelle n’est pas un secteur à part. Elle intègre toutes les dimensions de notre vie humaine. L’accompagnement spirituel aide à reconnaitre l’Esprit de Dieu à l’œuvre dans sa vie au fil des jours, à approfondir sa relation à Dieu, à connaître le Christ pour entrer dans sa manière d’être en relation avec son Père et avec tout être humain.

 

2.1. L’accompagnement spirituel dans l’histoire de l’Eglise.

L’accompagnement spirituel est une pratique très ancienne dans l’Eglise. Quelles que soient les formes qu’il a prises au cours des siècles, il a toujours eu comme objectif d’être une aide pour progresser dans la recherche de Dieu. Déjà, dans la Bible, on trouve des figures d’accompagnateurs. Dans l’AT : le prêtre Eli avec le petit Samuel (1 Sam 3), le prophète Nathan avec David (2 Sam 12). Dans le NT, Jésus lui-même dans sa marche avec les disciples d’Emmaüs (Luc 24), dans les Actes le diacre Philippe avec l’eunuque éthiopien (Ac 8).

 

Dans l’histoire de l’Eglise, la forme la plus ancienne est sans doute celle de la paternité spirituelle. Elle commence avec les Pères du désert dès le IVe siècle. On pouvait alors aller trouver un moine ou un ermite dans le désert et attendre de lui la parole qui pouvait tout éclairer. « Abba, donne-moi une parole ! ». Cette paternité s’est largement développée dans la tradition orientale et on connait l’image des starets russes que l’on retrouve dans les récits d’un pèlerin russe ou dans les frères Karamazov.

Mais solliciter une parole ne suffit pas, il faut le faire avec foi dans le seul désir d’en tirer un profit spirituel. Si la demande est motivée par la curiosité, l’Ancien est réduit au silence.

 

Puis, beaucoup de fondateurs de monastères et d’ordres religieux ont joué le rôle de maître spirituel. Des hommes et des femmes, au nom de leur expérience spirituelle et de leur responsabilité, ont eu cette mission de guider leurs frères et sœurs sur le chemin de Dieu. Saint Bernard disait : «  A se vouloir son propre maître, on se fait, à mon avis, le disciple d’un fou ! » soulignant par-là, la nécessité d’être accompagné pour avancer dans la vie spirituelle.

 

Ignace de Loyola qui a fait pour lui-même l’expérience de cette aide spirituelle au moment de sa conversion, notamment à Montserrat et à Manrèse en Espagne, a ensuite pratiqué la direction spirituelle avec nombre de personnes qui s’adressaient à lui. Son désir était d’« aider les âmes » pour permettre à chacun de « chercher et trouver Dieu dans la disposition de sa vie ».

 

Thérèse d’Avila notait trois grâces dans la vie spirituelle : celle d’être visitée par Dieu, celle de pouvoir le reconnaitre, et celle de pouvoir en parler. Elle insistait sur la nécessaire médiation d’un confesseur, d’un théologien ou d’un conseiller spirituel pour pouvoir nommer cette grâce.

 

La direction spirituelle n’a pas toujours été réservée aux prêtres ou aux religieux, des laïcs hommes et femmes ont eu une certaine renommée au XVIe et au XVIIe siècle : par ex. : Jeanne de Chantal (XVIe), Gaston de Renty, directeur spirituel dans des carmels (XVIIe), Marie Rousseau, épouse d’un marchand de vin et mère de cinq enfants, Mme Guyon (XVIIe), Marie Guyard devenue Marie de l’Incarnation (XVIIe), pour ne citer qu’eux.

 

Donc trois manières de faire de l’accompagnement spirituel : le père, le maître spirituel et le directeur.

 

2.2. De la direction spirituelle à l’accompagnement spirituel

Au fil du temps, des évolutions culturelles ont marqué la société et l’Eglise, notamment avec l’apport des sciences humaines… On assiste à une évolution des mentalités qui s’accompagne d’un déplacement de vocabulaire. Le terme d’accompagnateur s’est répandu dans les années 1980. Ce n’est pas simplement une question de mot. Le terme de directeur de conscience impliquait une direction en matière de morale et de religion donnée par un prêtre, celui de conseiller ou de père spirituel introduisait une sorte de directivité à travers les conseils et les recommandations. Le terme accompagnateur souligne davantage le côté fraternel de ce compagnonnage. Mais cela n’exclut pas la dimension de transmission de repères et de soutien qui fait partie de tout accompagnement spirituel.

 

Avec Vatican II, on a redécouvert que tout baptisé pouvait être, a priori, accompagnateur spirituel d’un frère, d’une sœur, à condition bien entendu d’en avoir les compétences et d’en recevoir la mission. Dans son exhortation apostolique « La joie de l’Evangile » (n° 169-173) le pape François invite les prêtres, les consacrés, les laïcs à se former à l’art de l’accompagnement pour aider les autres sur le chemin de leur vie spirituelle. Le pape François souligne que l’accompagnement spirituel est un art difficile, une aide qui se veut discrète, patiente, sans emprise sur l’autre, respectueuse.

 

2.3. Aide spirituelle ou accompagnement spirituel ?

Dans notre tradition chrétienne, on peut distinguer trois formes d’aide spirituelle. Quelle que soit la situation, le but est toujours d’aider une personne à chercher et trouver sa route avec le Seigneur.

 

L’aide spirituelle dans un contexte pastoral

L’aide spirituelle peut se vivre dans une conversation, dans un échange avec quelqu’un de manière tout à fait informelle. Elle se vit dans le dialogue pastoral à des occasions très diverses : accueil paroissial, préparation aux sacrements, inscription au catéchisme, préparation des funérailles, visites de malades… Ce dialogue demande une grande souplesse selon les circonstances. Il est important que la personne se sente accueillie et écoutée, et que le dialogue lui permette d’exprimer sa véritable demande. Celui qui accueille est signe de Dieu qui accueille et écoute, signe de l’Eglise qui se fait proche.

On peut mettre aussi dans cette catégorie ce qui relève de l’accompagnement de groupes divers (aumôneries, mouvements, associations caritatives…).

Habituellement, cette aide spirituelle est ponctuelle. Beaucoup de personnes n’iront pas plus loin dans une démarche chrétienne et pourront être marquées à vie par une parole ou un geste d’un moment.

 

Dans le cadre d’une retraite individuellement accompagnée

Dans une retraite selon les Exercices spirituels de saint Ignace, par ex., le rôle de l’accompagnateur est très balisé, ses interventions s’inspirent du cadre des Exercices, avec un itinéraire et des règles, pour que le retraitant trouve par lui-même son chemin selon l’Esprit.

L’accompagnateur veille à assurer au mieux les conditions du voyage pour que le retraitant se laisser rencontrer par Dieu et pour laisser « le Créateur agir avec sa créature »,15e annotation.

Les repères donnés par Ignace à l’accompagnateur sont nombreux. Ils lui permettent d’aider le retraitant, en le rendant attentif à la manière dont il vit les exercices proposés et aux mouvements intérieurs éprouvés, compte tenu du point où il en est...

L’accompagnateur est un témoin extérieur, mais bien utile à celui qui vit la retraite, pour éviter qu’il s’égare dans ses propres pensées ou ses illusions.

 

Dans un accompagnement régulier

L’accompagnement régulier se caractérise par un suivi dans le temps, sur une durée assez longue pour porter du fruit, des rencontres régulières. Il suppose que l’accompagné mette toute sa vie sous le regard de Dieu (sa relation à Dieu, aux autres, à lui-même, sa vie affective, sa vie professionnelle, ecclésiale, familiale, etc.).

Quand une personne demande un accompagnement spirituel, c’est qu’elle a le désir de vivre sa vie selon l’esprit du Christ et qu’elle souhaite être aidée à faire le point sur sa vie, à progresser dans sa vie de foi, à se préparer à un choix ou à prendre une décision importante.

 

 

3.     Les raisons de se faire accompagner spirituellement

On peut se demander quel est l’intérêt de parler à un autre de ce qui fait sa vie, car l’accompagnement repose essentiellement sur la parole. Il s’agit, en effet, de permettre à quelqu’un de naître à la parole en disant « je », et de naître à la parole de Dieu. C’est un long apprentissage qui demande du temps et de la persévérance.

 

C’est aussi une aide au discernement spirituel : ce que nous ressentons, ce que nous vivons à l’intérieur de nous-même reste souvent flou tant que cela n’est pas nommé. Il est aussi difficile d’être objectif avec soi-même, on peut facilement s’empêtrer dans ses méandres intérieurs. Parler aide à faire la clarté sur ce qui nous habite, sur ce qui nous conduit ou nous fait obstacle dans la recherche du Seigneur…

 

L’accompagnement spirituel n’est pas une écoute passive, le dialogue sera l’occasion d’une certaine initiation. L’accompagnateur fournit des éléments d’initiation à la relecture de vie, à la prise de conscience de ce qui se passe en soi et facilite l’acquisition de repères.

 

S’exercer à la relecture de vie

La tradition spirituelle a toujours mis en valeur le rôle de la mémoire et invité à pratiquer différentes formes de relecture de la vie. L’accompagnement spirituel est un lieu d’apprentissage de la relecture de vie. En parlant, une prise de conscience s’opère.

 

Relire sa vie sous le regard de Dieu est autre chose que faire le point sur ce que l’on est ou sur ce que l’on fait. Cela suppose un regard de foi qui sache discerner l’action de Dieu dans ce qui survient mais sans faire de Dieu la cause immédiate des évènements. Il s’agit de discerner sa présence à nos côtés dans ces évènements. Le Dieu auquel nous croyons est le Dieu de l’Alliance qui veut vivre avec chacun d’entre nous une relation d’amour et nous ne pouvons en prendre conscience que dans le concret de notre vie quotidienne.

 

Relire c’est aussi en quelque sorte relier le passé, le présent et l’avenir. C’est bien l’Esprit Saint qui est l’auteur de ce lien, de cette unification de notre être. Relire notre passé sous son regard nous permet de voir ce qu’il attend de nous dans le présent et de nous engager pour l’avenir.

 

Quand nous arrivons à relire régulièrement notre vie sous le regard de Dieu, elle sort de la banalité, nous réalisons davantage à quel point nous sommes aimés personnellement par Dieu, et nous découvrons le vrai poids de notre existence, son poids d’amour, et nous entrons davantage dans l’action de grâce. Notre vie devient une histoire sainte.

 

C’est l’attitude de Marie dans le Magnificat et tout au long de l’Evangile : elle garde et médite dans son cœur tout ce qui lui arrive.

 

Prendre conscience

Le premier service que peut rendre un accompagnateur en écoutant quelqu’un, c’est lui permettre de ressaisir quelque chose de sa vie. Lui faire faire l’expérience que la parole dite à l’autre favorise la prise de conscience et entraine une sortie du vague ou du confus. La prise de conscience de ce qui se passe est nécessaire pour que l’expérience spirituelle se développe.

En effet, il arrive à des personnes de vivre des moments importants dans leur chemin spirituel sans s’en rendre compte ; d’être touchées par un passage d’Evangile ou une rencontre sans y prêter attention. Il y a dans le cours de la vie spirituelle des moments d’émotion intense, d’ouverture aux autres ; ou à l’opposé, des moments de déprime, de tristesse, d’isolement sur soi, de découragement…Or ces alternances veulent dire quelque chose dans l’itinéraire de quelqu’un. Le premier pas à faire pour en tirer profit est d’apprendre à y prêter attention pour les identifier. C’est le début du discernement spirituel sur lequel je ne m’attarde pas puisqu’il fera l’objet de la troisième rencontre.

 

Acquérir des repères

Prendre conscience, prêter attention est nécessaire mais ne suffit pas, il faut encore interpréter cela grâce à des repères : dans quel sens nous conduit ce qui nous arrive ou ce que nous ressentons intérieurement ? Dans le sens d’une croissance spirituelle ou dans celui de la régression ?

Un auteur spirituel du IVe siècle, Evagre le Pontique, dit :

« Sois le portier de ton cœur et ne laisse aucune pensée entrer sans l’interroger ; interroge-les une à une, dis à chacune : es-tu de notre parti ou du parti des adversaires ? (Jos 5, 13).

Et si elle est de ta maison, elle te comblera de paix ; si elle est de l’adversaire, elle t’agitera de colère ou te troublera de désir. Il faut donc scruter à tout instant l’état de ton âme. »

On le voit la démarche de relecture commence par l’attention, la vigilance et se poursuit par l’interprétation, l’identification à partir de ce qui a été éprouvé. Cette pensée qui nous vient ou cette envie qui nous habite, qu’en faisons-nous, que vient-elle nous dire ? La prise de conscience permet un jugement. Est-ce que cela travaille dans le sens de la croissance de notre liberté ou est-ce que cela sème le trouble ? Le tri se fait à partir du retentissement intérieur : la paix, la colère, le trouble, le découragement, etc. Cela renvoie au discernement spirituel…

On peut dire que le dialogue d’accompagnement est une aide pour interpréter ce qui se passe en soi et pour ajuster sa vie à l’Evangile.

 

 

4.     Le rôle de l’accompagnateur

Ce n’est pas par hasard que quelqu’un demande un accompagnement. C’est l’Esprit qui le pousse à cette démarche, même s’il l’ignore, et c’est sous la conduite de l’Esprit que les rencontres auront à se dérouler. Il semble assez évident de dire que pour accompagner quelqu’un dans sa recherche de Dieu, cela suppose d’être soi-même dans une même démarche de foi.

 

Le véritable accompagnateur, c’est l’Esprit Saint et l’accompagnement spirituel se situe d’emblée dans une confiance commune en la grâce de Dieu, en sa présence agissante.

L’image de la Visitation illustre assez bien ce qu’est une rencontre d’accompagnement spirituel. Marie et Elisabeth sont toutes deux conduites par l’Esprit Saint et, dans leur échange, l’œuvre de l’Esprit devient manifeste. Chacune des deux reconnaît l’œuvre de Dieu en l’autre et cela les conduit l’une et l’autre à l’exultation dans la foi. Toute proportion gardée c’est à cela que nous sommes invités dans la rencontre d’accompagnement. Accompagné et accompagnateur sont tous deux à l’écoute de l’Esprit. L’accompagnateur est en quelque sorte le facilitateur de la rencontre entre l’accompagné et l’Esprit, le témoin et le révélateur de la rencontre entre l’autre et l’Esprit de Dieu qui l’anime.

 

L’accompagnateur est au service de la croissance spirituelle des personnes en partant du point où elles en sont, il les aide à grandir en liberté intérieure et à accéder à leur désir spirituel profond. Il les aide à repérer les obstacles, les blocages sur leur route. Il aide les personnes à orienter leur vie vers le Christ et à sentir les mouvements intérieurs qui les agitent, les pensées qui les habitent, les projets qu’elles nourrissent pour en discerner les origines afin de les accueillir ou de les rejeter.

 

La parole de Dieu, et tout spécialement l’Evangile, est le chemin privilégié pour favoriser cette rencontre avec le Christ. Le regarder vivre, agir, prier, parler. Il y a place dans l’accompagnement à une initiation à l’écoute de la Parole, à la prière, à la relecture de la prière et de la vie en lien avec l’Evangile. La Bible est comme l’univers et souvent le terrain commun que nous habitons et qui nous unit. Il est toujours possible de suggérer à la personne tel ou tel rapprochement, de lui proposer de méditer tel passage. Il ne s’agit pas ici d’enseigner, mais de laisser l’Ecriture parler, évoquer. Parfois le texte suggèrera tout autre chose que ce que l’accompagnateur avait envisagé. Pourquoi pas ? Et certains courants de spiritualité offrent des outils pour « entendre » l’Ecriture d'une manière nouvelle qui imprègne toute la personne, par ex. la manière de contempler une scène biblique chez saint Ignace à l’aide de nos sens. Il peut cependant arriver exceptionnellement qu’un peu d’enseignement soit utile. Per ex. : quand l’accompagné se fait une idée de Dieu qui est manifestement radicalement fausse. On peut avoir sur Dieu des idées bien différentes, mais il en est qui sont dangereuses. Mais, même là, l’enseignement devra aider l’autre à découvrir les choses par lui-même autant qu’il est possible. Nous savons bien que ce que nous avons découvert à plus d’efficacité que ce que l’on a cherché à nous apprendre…

 

L’accompagnement suppose une attitude d’écoute intérieure. Une rencontre est toujours une aventure. Ecouter est un risque, une invitation au décentrement, à sortir de soi pour accueillir l’autre comme il est. Nous consentons à ne pas savoir tout d’avance, à ne pas avoir de projet sur l’autre ; nous consentons à nous laisser déplacer, déloger… voir bouleverser et transformer par l’autre, ce qu’il est, ce qu’il dit… mais aussi par ce qui advient dans la rencontre, grâce à l’autre... Tout cela peut nous rendre bien vulnérables…

 

Ecouter demande de la patience et de la bienveillance. Patience, car il s’agit d’écouter jusqu’au bout la parole de l’autre, de se laisser toucher, atteindre. Bienveillance, pour accueillir positivement et sans interprétation et sans jugement toutes les idées, tous les sujets, toutes les réactions, toutes les décisions partagées.

 

L’écoute demande de la discrétion et une certaine ascèse : refuser de penser à la place de l’autre, refuser de répondre à sa place : il a les réponses en lui-même ! Et cependant, écouter appelle une réponse, une parole en retour, un échange… il faut alors risquer sa parole et oser dire ce qui surgit en nous au cœur de l’échange. Rappelons que tout ce qui est partagé est de l’ordre de la confidentialité et du secret partagé.

 

L’écoute se vit sur fond de silence, un silence intérieur surtout. Autant que l’on peut… L’accompagnateur se rend présent à l’autre avec tout lui-même. L’écoute passe de l’oreille au cœur… Tout notre corps, tout notre être est impliqué dans cette écoute… L’accueil de l’autre, son écoute passe aussi par le langage non verbal de notre corps. Si nos paroles sont accueillantes mais notre corps, en quelque sorte fermé, la personne sentira des résistances à la relation. Nous interroger sur notre capacité d’accueillir vraiment avec tout nous-même ou avec résistance… sur notre capacité de rebondir, de nous laisser déplacer, déranger, ou de nous blinder… Savoir humblement que notre écoute est toujours située… Nous écoutons avec tout ce que nous sommes.

 

L’accompagnateur est ainsi témoin du travail de Dieu en l’autre. Il est témoin de la loi de l’Evangile auquel il réfère la personne : une loi d’amour à l’aune des béatitudes. Il est témoin de la loi de l’Eglise avec laquelle il est nécessaire que l’accompagné soit au clair car la loi est structurante, elle permet d’accéder à l’altérité et de reconnaître que l’être humain n’est pas tout puissant.

 

 

5.     Se former à l’accompagnement

Il est bon de rappeler que l’on ne s’institue pas soi-même accompagnateur spirituel. On y est appelé par d’autres. C’est une mission que l’on reçoit. Ce service suppose un certain nombre de qualités naturelles, mais surtout un vrai « charisme ».

 

Parmi les prérequis, notons d’abord : être un homme/une femme de prière, et s’exercer à se laisser conduire par l’Esprit. Pour cela, il est bon que celui qui accompagne soit lui-même accompagné pour grandir dans une vie unifiée par l’Esprit, pour vérifier son propre chemin, et discerner les appels de Dieu dans sa vie.

 

Il n’est pas nécessaire pour accompagner d’être théologien. Il suffit d’avoir une intelligence de la foi et une connaissance suffisante et intériorisée de la spiritualité. Pour nourrir sa propre vie spirituelle et s’ouvrir à d’autres expériences la lecture d’ouvrages spirituels est d’une grande aide.

 

Il n’est pas nécessaire non plus d’avoir fait des études de psychologie, mais une connaissance suffisante de la psychologie humaine s’avère utile, sans vouloir mélanger les rôles, pour ne pas confondre le discernement des esprits avec des problèmes psychologiques. Cela permet au besoin d’orienter la personne vers plus des personnes plus compétentes que soi dans ce domaine.

 

Mais surtout la formation se fait par l’expérience. Cependant nul ne peut savoir tout seul s’il exerce bien cette mission. Un moyen simple et très utile pour se former c’est de prendre l’habitude de relire ses rencontres et de prendre des notes. Relire pour pouvoir en parler avec d’autres ou avec un autre en supervision et vérifier ainsi la manière dont on assure ce service.

 

Quelques questions à se poser pour relire la rencontre et préparer éventuellement une supervision :

Qu’est-ce qui a été abordé dans l’entretien ? Prière, vie, problème particulier ?

Qu’est-ce qui m’a semblé important et que j’ai retenu dans ce qui m’a été dit ?

Qu’ai-je ressenti en moi en recevant la personne ? En l’écoutant (souffrance, compassion, culpabilité, agacement, insécurité, trouble, sympathie, antipathie…) ? En la voyant partir ?

Est-ce que je l’ai écoutée jusqu’au bout ? Est-ce que je lui ai coupé la parole ? Pourquoi ?

Qu’est-ce que je lui ai dit ? Pourquoi ?

Qu’est-ce que je voulais dire et je n’ai pas pu dire ? Pourquoi ?

Est-ce que j’ai pu accueillir sa vision des choses et la reformuler sans la confondre avec la mienne ? Sans juger la personne ?

Quel est mon sentiment après la rencontre : à l’aise ou mal à l’aise ? Doute ? Tristesse ? Admiration ? Action de grâce ? Crainte de ne pas l’avoir aidé ?…

 

Ce dont l’accompagnateur parle dans la supervision, c’est de lui-même dans sa situation d’accompagnateur. Il ne s’agit pas de raconter la rencontre mais de verbaliser devant un autre la manière dont on a procédé, les mouvements qui ont surgi en écoutant… afin de progresser tant dans la manière d’accompagner que dans la connaissance de soi vivant cette situation.

 

La supervision fait vivre la dimension ecclésiale de ce service. Demander une supervision ou accepter de rendre ce service c’est reconnaitre que la mission qui nous est confiée nous dépasse et que nous avons besoin du regard d’un autre pour vérifier que nous tenons notre place au mieux, celle du simple serviteur de l’Evangile.

 

Quand on accompagne on réalise que Dieu nous précède toujours. Nos limites, notre vulnérabilité ne l’empêchent pas d’agir, c’est même souvent de cela qu’il se sert. Ce service est un appel incessant à la foi, dans la dépossession de ce que nous croyons sentir ou savoir, pour accueillir la liberté imprévisible de l’action de l’Esprit.

 

Il nous est donnée d’apprendre à contempler Dieu en toutes choses et en chacun, de devenir familier de ses manières d’agir avec les autres, c’est nourrissant pour notre propre foi.

 


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